Les tatouages sont très à la mode aujourd’hui. Autrefois, ils étaient la marque des détenus, des marins. D’ailleurs, cette tradition est très ancienne dans certains peuples qui la pratiquent aujourd’hui. C’est souvent le signe d’appartenance à un groupe, mais cela peut avoir une signification religieuse.
C’est le cas dans la Bible, plus exactement dans la Genèse. Il en est question quand Dieu chasse Caïn après le meurtre d’Abel. Caïn craint d’être pourchassé par les hommes à cause de son crime et Dieu lui dit : « Si quelqu’un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois ». « Et le Seigneur mit un signe sur Caïn pour le préserver d’être tué par le premier venu qui le trouverait. » Ce signe devait être un tatouage sur son front.
Nous retrouvons en quelque sorte les descendants de Caïn dans le libre d’Ezéchiel. Dieu envoie des anges pour exterminer ceux qui ont commis le mal, mais ils doivent épargner ceux qui portent le signe sur le front.
Quel est donc le signe porté par Caïn et ceux qui sont épargnés : c’est le Tav, nous disent les maîtres du Talmud. C’est la dernière lettre de l’alphabet hébreu. D’ailleurs, dans l’Apocalypse (22), Dieu dit « Je suis l’alpha et l’oméga ». Transposé en hébreu, cela donne : « Je suis l’aleph et le tav », le début et la fin de tout. A l’origine, graphiquement, le tav ressemblait beaucoup à notre T majuscule. Il est signe de la rencontre entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes. C’est le sceau du Roi, celui dont il a marqué sa création. Le tav représente donc l’accomplissement de la Création.
Le tav dessine aussi la croix sur laquelle le Christ a donné sa vie gratuitement, librement pour nous sauver. Jésus, dans l’Evangile, nous demande d’ailleurs de prendre notre croix. Il nous demande de donner notre existence, cette vie que nous avons reçue au service des autres, donc pour l’amour du prochain. C’est ce don consenti qui sauve, qui ramène au Père, qui fait de chacun nous des fils dans le Fils, en son corps de ressuscité.
Dieu en son Fils accepte d’être blessé pour rejoindre l’homme dans le seul lieu où il se laisse toucher, le lieu de sa blessure. Prendre sa croix, c’est donc, à l’imitation de Jésus Christ, offrir sa vie, mais aussi l’élever très haut dans le ciel. La croix devient alors signe du salut. Elle attire à elle tous les hommes.
Le jour de notre baptême, nous avons été marqués par le saint Chrême, l’huile qui nous fait à l’image du Christ, c’est à dire de consacrés par l’Esprit Saint. Cette marque est indélébile. Nous sommes en quelque sorte tatoués de façon invisible.
Pourquoi est-ce que je raconte tout cela : c’est pour bien comprendre le passage de l’Apocalypse que nous avons entendue aujourd’hui : un ange marque au front les serviteurs du Dieu vivant. Ceux-là sont 144 000, 12 x 12 x 1000. Ces chiffres symbolisent le peuple d’Israël et évoque les douze apôtres, colonnes de l’Eglise. C’est l’humanité tout entière, une foule immense que nul ne peut dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues, nous dit encore le texte.
La Toussaint est la fête de toute cette multitude. Nous avons été marqués au jour de notre baptême. La toussaint est notre fête, à chacun d’entre nous, à nous tous. Sortons de l’idée qu’être saint, c’est de ne rien avoir à se reprocher : pas de distractions dans la prière, ne jamais être de mauvaise humeur, par exemple. Etre saint, c’est garder l »espérance pendant les épreuves qui ne manquent pas sur le chemin de notre vie. Etre saint, c’est avoir enracinée au cœur l’espérance que ce à quoi nous sommes destinés sera manifesté un jour. « Alors nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est », comme nous l’avons entendu dans la première lecture.
Etre saint, c’est être en marche pour réaliser les béatitudes ! Nous avons peut-être l’impression que nous n’y arriverons jamais, que c’est impossible… Mais si, nous allons sans doute en vivre au moins une afin de ressembler au Christ qui, lui, les a toutes vécues pleinement.
Je cite pour terminer Eloi Leclerc qui dit ce qu’est la pureté du cœur. « La sainteté n’est pas un accomplissement de soi ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on se découvre et que l’on accepte, et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude. Notre néant, s’il est accepté, devient l’espace libre où Dieu peut encore créer. Il faut simplement ne rien garder de soi même. Tout balayer. Même ce sentiment aigu de notre détresse. Faire place nette. Accepter d’être pauvre. Renoncer à tout ce qui est pesant, même au poids de nos fautes. Ne plus voir que la gloire du Seigneur et s’en laisser irradier. Dieu est, cela suffit.
Frère Dominique Joly