« S’asseoir »
Les paroles de l’Evangile de ce jour sont si fortes, si choquantes qu’on serait tenté de les édulcorées : « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses frères et sœurs, et même jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple ». Aujourd’hui on traduit : « sans haïr » par « sans me préférer », car la langue de Jésus ne possédait pas de comparatif. Il n’empêche que derrière cette phrase, une des paroles les plus dures de l’Evangile qui tombe comme un couperet. On a dit : « Il exagère, il veut frapper les esprits et réveiller les endormis, il parle pour les apôtres ».
Pourtant il s’adresse aux foules. Imaginons de grandes foules. Il se retourne et dit ces paroles fortes. Malheureusement nous les avons entendues, d’une manière distraite depuis notre enfance, et nous ne mesurons plus toute la portée et toute l’exigence. Une manière de se l’approprier à nouveau serait d’abord de la refuser : « Cette parole est trop forte qui peut l’entendre ». (Jean VI 60) Mais dans un deuxième temps, laissons-nous impressionner par l’autorité de cet homme, qui ne parle pas comme un homme politique qui flatte son auditoire en fonction des élections. Jésus parle toujours à partir de son très fond, qui est sa relation au Père, et non à partir de son pouvoir de séduction pour attirer les foules à la manière d’un gourou.
L’Ancien Testament nous recommande d’honorer notre père et notre mère, et à l’homme de s’attacher à sa femme, d’aimer ses enfants. Les biens sont un signe de bénédiction. Jésus ne récuse pas cela, bien au contraire, mais il nous parlera d’un amour de préférence. Pour lui être disciple c’est s’attacher à sa personne d’une manière inconditionnelle jusqu’à la préférer aux êtres qui nous sont les plus chers, et même notre propre vie. Il ne s’agit donc pas d’être adepte d’une pensée, d’une morale, d’un idéal de justice, (tout cela vient après) mais de suivre amoureusement cet homme et le préférer à tout, même à notre propre vie.
C’est pourquoi il y aura toujours une certaine dichotomie entre le disciple qui a fait l’expérience de cette rencontre amoureuse et bouleversante du Christ et l’institution qui est chargée d’organiser, de diriger d’unifier les chrétiens. Il y aura toujours chez le disciple une insatisfaction, une disharmonie, une déception face à l’institution car le disciple sera selon le mot de Blondel « une plante déracinée et non transplantée » Mais la multiplication des disciples ayant fait cette rencontre amoureuse rendra l’institution plus belle ; plus crédible, plus évangélique. En ce sens, saint François, « le plus parfait des chrétiens » dira Zundel» avec sa manière radicale de vivre cette parole de Jésus rendit l’Eglise de son temps plus crédible.
Mais après ces paroles fortes, Jésus nous donnera deux petites paraboles, qui suggèrent sans moraliser, qui engagent sans endoctriner. Ces paraboles nous invitent à nous asseoir, à réfléchir, à calculer le risque et la dépense d’un tel investissement. S’asseoir pour reconnaître celui qui réclame de le préférer à ceux qui nous sont les plus chers, parce qu’il est lui-même au cœur de tous nos amours. Jamais, Jésus, ne va nous enlever nos amours, mais au contraire les faire grandir et les purifier.
Je respecterais infiniment une personne qui ne pourrait pas s’asseoir pour calculer la dépense. Il n’empêche, que dans un monde où l’on court tout le temps, s’asseoir pour chercher nos priorités devient une exigence fondamentale. Car pour donner sa vie il faut d’abord être un vivant. Teilhard disait déjà : « Comment l’homme se donnerait-il à Dieu s’il n’existait pas » ? Avant de se détacher il faut d’abord s’attacher .Etre père, mère, frère, sœur, époux le plus complètement possible, avant de se détacher. Donnons d’abord du poids à toutes ces réalités merveilleuses qui nous sont données et dont nous ne sommes pas propriétaires. Alors seulement nous pourrons les rendre dans l’action de grâce, et nous comprendrons mieux ce que signifie l’Amour de préférence.
« Attache-toi fortement avec la qualité du détachement »
Frère Max de Wasseige