Homélie du dimanche 7 décembre, 2ème dimanche de l’Avent – Année A, du frère Dominique Joly

Mon petit loup. C’est une expression qui exprime la tendresse envers une personne aimée : souvent un enfant. C’est curieux qu’un animal qu’on voit d’habitude comme un prédateur sanguinaire devienne le contraire. On retrouve cette ambivalence dans la Bible : ainsi, dans la première lecture d’aujourd’hui, Isaïe nous annonce que le loup habitera avec l’agneau. Mais, quand Jésus envoie les disciples en mission, il leur dit qu’ils seront comme des brebis au milieu des loups.

Cette ambivalence est significative : on sent bien qu’il y a d’un côté la réalité de la vie qui est implacable et, de l’autre un rêve, une espérance d’un monde meilleur.

Le prophète nous présente un avenir formidable : le descendant de David, fils de Jessé, qu’en hébreux on appelle le messie, et que l’Evangile appelle le Christ, sera rempli de l’Esprit de Dieu. Sa sagesse, son jugement ne se fiera pas aux apparences, mais il sera en faveur des plus pauvres, des plus démunis. En revanche, il punira les méchants. Et, Isaïe continue en décrivant un monde idyllique : Les animaux, comme le loup, qui ont besoin d’en tuer d’autres pour vivre, se mettront à manger du foin, et ceux qui sont dangereux, comme les serpents, ne causeront plus aucun mal. Même les humains vivront en paix. On retrouve cette révélation dans l’Apocalypse : « Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. »

Nous entendons bien ces paroles, mais quand nous regardons le monde qui nous entoure, nous sommes bien obligés de nous rendre compte que les choses ne se passent pas comme cela : les prédateurs existent toujours, les guerres et les dictatures n’en finissent pas. L’homme est un loup pour l’homme. Les profiteurs, les exploiteurs, ceux qui commettent l’injustice sont toujours là.

Jean-Baptiste, dans l’Evangile de ce jour, prêche la conversion. Ses mots sont terribles : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? » et encore : « Produisez donc un fruit digne de la conversion. Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. »

Comme croyants, nous avons souvent l’impression que notre espérance est déçue. Comment comprendre que les promesses de Dieu ne se réalisent pas ? Comment comprendre que Dieu ne reprenne pas les choses en main en remettant à leur place ceux qui font le mal, en exerçant sur eux la colère, comme dit le texte ?

Je n’ai pas de réponse à ces questions, mais seulement des pistes de réflexion que je vous propose.

La première est que nous sommes tous invités à la conversion, individuellement et collectivement. Nous participons tous au mal, d’une façon ou d’une autre. La paix doit commencer à naître en chacun de nous.

Ensuite, disons-nous que, quand le Christ reviendra, il établira son règne de justice et de paix. C’est en effet ce que nous laissent entrevoir les textes. Mais cette réponse n’est pas vraiment satisfaisante : les chrétiens ont souvent été taxés de prêcher la résignation. « Nous souffrons aujourd’hui, mais Dieu nous promet l’éternité bienheureuse ». Cela permet de faire taire la contestation de l’injustice et de l’exploitation. C’est un pain béni, si j’ose dire, pour les dictateurs de tout poil.

Cette réflexion ne suffit pas. Une autre piste : si nous regardons bien notre monde d’aujourd’hui, certes, il se passe des choses terribles et inacceptables, mais il y a aussi de très belles choses. Ce qui ne va pas fait beaucoup de bruit, cela occupe beaucoup de place dans les journaux, et cela nous empêche de voir le bien. Comme le dit un proverbe africain : « L’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse. » Qu’on pense à toutes les initiatives pour plus de paix et de justice, à la solidarité quand surviennent des catastrophes naturelles, à la recherche dans le domaine de la santé, à l’enseignement et à l’éducation, à l’art, aux risques que prennent les journalistes pour informer, aux mandats des hommes politiques et de ceux qui sont chargés de rendre la justice avec conscience, etc.

Enfin, nous voyons que, tout au long de l’Evangile, Jésus manifeste progressivement qu’il est lui-même l’aboutissement de la promesse de Dieu. Il le dit dans l’Evangile de Luc : « La venue du règne de Dieu n’est pas observable. On ne dira pas : “Voilà, il est ici !” ou bien : “Il est là !” En effet, voici que le règne de Dieu est au milieu de vous. » Jésus nous laisse désirer et découvrir le règne de Dieu.

Ancré dans l’instant, le Royaume nous ouvre à un horizon qui dépasse nos forces : ce n’est pas le triomphe d’une révolution humaine, mais la visite d’un Dieu qui nous entraîne à ses côtés. En nous unissant à son projet, nos gestes ordinaires deviennent des pierres posées pour une création retrouvée —  chaque fragilité acceptée se fond en fondation de la Cité céleste.

Frère Dominique Joly

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