L’HOMME RICHE ET LAZARE Luc 16, 19-31
La première lecture, du prophète Amos, est un écho de ce qu’il se passe à Samarie, dans la capitale
du Royaume du Nord, et à Jérusalem, celle du Royaume du Sud. Il n’est pas tendre : « Malheur à
ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion, et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de
Samarie. couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, etc. » Le Nord sera annexé en 722
avant JC par les Assyrien, et le Sud un peu plus tard, en 587. On a retrouvé, dans les fouilles
archéologique de Sébaste, dans les ruines du palais, des plaques d’ivoire. Le prophète admoneste ses
contemporains : malheur à vous, si vous continuez une vie si décadente !
Venons-en à l’Evangile. Quoique je ne sois pas historien dans le domaine de l’art, j’ai fait une petite
enquête sur le passage d’aujourd’hui dans la peinture. A mon grand étonnement, la parabole du riche
et de Lazare a été peu exploitée par les artistes. Pourtant, le sujet aurait dû les intéresser : la vision
du paradis et de l’enfer notamment, séparés par un profond abîme. Peut- être que la présentation que
nous fait le Seigneur de l’Evangile n’est pas suffisamment imagée : il n’y a pas de diables avec des
fourches ni de feu pour brûler les damnés. Non, le paradis nous est présenté sans fioriture :
seulement deux personnes en communion entre eux : Abraham et Lazare. L’enfer, c’est une
personne qui subit la torture de ne pas être en relation avec d’autres. Pour les peintres, ce n’était pas
assez pittoresque, c’est le cas de le dire.
Les peintres, pas parmi les plus célèbres, se sont plus emparés du début de la parabole : le riche qui
vit dans son palais et le pauvre lazare qui n’a rien à manger, même pas ce qu’il y avait dans la
poubelle du riche, et dont les chiens léchaient les ulcères.
Pourquoi un tel désintérêt des artistes : l’hypothèse qui me paraît la plus probante est que cette
parabole est terrible dans son réalisme. Elle n’a pas besoin d’interprétation tant le message qu’elle
véhicule est évident : celui qui ne vient pas en aide à son prochain, au pauvre qui est proche, ne
pourra avoir part au Royaume. Le pauvre, lui y a accès.
C’est curieux : Il n’est pas dit que ce pauvre, dont on connaît le nom, Lazare, ce qui signifie « aide
de Dieu », a eu une vie exemplaire ou non, alors, pourquoi entre-t-il au paradis sans problème ? En
revanche, le riche est conduit tout droit en enfer. Remarquons que Jésus ne reproche pas au
riche,dont le nom nous reste par ailleurs inconnu, d’être riche. La faute qu’il a commise est
l’indifférence : il pèche par aveuglement, par omission, si l’on peut dire : il ne voit pas le pauvre qui,
pourtant, fait la manche devant sa porte.
Devant un message aussi radical, nous courons le risque de tomber dans la culpabilisation. Se sentir
coupable, c’est bien, si c’est ajusté à la situation, c’est-à-dire proportionné par rapport à la faute
commise. Dans ce cas, cela nous permet de progresser, d’améliorer notre comportement vis à vis
des autres, mais cela peut s’avérer néfaste si cela nous mène à la honte, la tristesse, la colère, et si
cela nous paralyse à tel point que nous perdons toute confiance en nous.
Alors, essayons de comprendre ce que nous enseigne Jésus aujourd’hui : ce qu’il reproche au riche,
c’est son aveuglement, son égocentrisme., son indifférence. Il a vécu pour satisfaire ses propres
envies sans se préoccuper de son prochain et même, sans le voir. C’est un homme seul. Et c’est peut-être
cela, l’enfer : être isolé, sans relation aucune avec les autres, sans la dimension de communion.
Notons que les miracles, comme l’apparition d’un mort, même si celui-ci porte un message fort
d’avertissement (ici, le riche demande que Lazare aille prévenir ses frères de ce qui les attend dans
l’au-delà s’ils ne changent pas comportement à l’égard des autres) ne permet pas une conversion :
cela, nous pouvons l’observer souvent : par exemple, il y a des guérisons reconnues comme
miraculeuses à Lourdes et pourtant, cela n’amène pas les incroyants à croire. Ce qui peut toucher la
personne, c’est le message de l’Evangile, à condition, bien sûr, d’accepter de l’entendre et de faire
l’effort de le comprendre.
Que devons-nous retenir : l’importance d’être en relation pour se soutenir les uns les autres. Et la
nécessité vitale d’ouvrir les yeux pour voir le monde qui nous entoure : les belles choses, bien sûr,
mais aussi les souffrances, les drames de personnes qui nous sont souvent très proches. Nous
chantons quelque fois : « Ouvre mes yeux, Seigneur, aux merveilles de ton amour ; je suis l’aveugle
sur le chemin : guéris-moi, je veux te voir. » Voilà notre prière d’aujourd’hui : demandons au
Seigneur d’ouvrir nos yeux sur les merveilles qu’il fait chaque jour, et aussi sur la détresse de nos
frères. Puissions-nous voir au-delà de leur visage celui du Christ.
Frère Dominique Joly