L’Evangile de Luc s’ouvre aujourd’hui comme une page de journal avec à la une deux évènements dramatiques : des Galiléens massacrés dans le temple sur ordre de Pilate. Une tour qui s’effondre en faisant dix huit victimes. Ce sont deux drames parmi tous ceux qui mettent les hommes en face du mal, de la violence, de la souffrance, avec plein de pourquoi, plein d’incompréhension, de révolte aussi. Aujourd’hui, nous avons les drames de la guerre en Ukraine, du conflit israélo-palestinien et de tous les conflits moins médiatisés mais qui écrasent aussi des familles, des enfants dans notre monde. Comment expliquer ses sorts si horribles ? Avec cette question qui peut nous traverser, quand nous sommes nous-mêmes touchés par la souffrance ou le malheur : qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? C’était aussi la même question posée à Jésus au sujet de l’aveugle né : « Qui a péché pour qu’il soit né ainsi ? Lui ou ses parents ? » Jésus répondra : « Ni lui, ni ses parents » et aujourd’hui il nous dit que les Galiléens qui ont perdu la vie ne sont pas plus coupables que nous . Jésus nous révèle que Dieu n’est pas un juge qui condamne, qui distribue selon son caprice le bonheur ou le malheur. Il vient simplement partager toutes ces douleurs avec nous pour nous les faire traverser. Mais ajoute-t-il : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous, de même » ! Paroles très alarmistes !
Pour comprendre cela, Il faut nous replonger dans ce magnifique et profond passage du livre de l’Exode qui nous révèle la véritable identité de Dieu. Car identité de Dieu et conversion sont profondément liées l’une à l’autre. En effet se convertir ne revêt pas immédiatement une signification morale : passer du mal au bien. Se convertir relève d’abord du relationnel : c’est entrer dans une relation étroite avec notre Dieu qui nous attend comme le Père de l’enfant prodigue.
Dans ce passage tiré de l’Exode, Dieu se présente sous trois expressions qui l’identifient pour toujours : d’abord Dieu s’identifie comme celui qui a libéré son peuple de l’esclavage d’Egypte : un Dieu proche, pris de compassion pour son peuple qui souffre, et qui dans son immense bonté et sagesse a décidé de se communiquer lui-même à tous les hommes : « J’ai vu la misère de mon peuple. J’ai entendu ses cris : je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer ». C’est l’épisode du buisson ardent qui ne se consume pas et qui est l’image de l’amour de Dieu que rien ne peut épuiser, pas même le nombre de nos péchés. C’est ce même Dieu qui continue aujourd’hui de venir à notre secours et qui ne nous abandonne pas dans les déserts du mal, de la solitude et de la mort.
Dieu va s’identifier encore comme le Dieu d’une longue histoire ; comme le Dieu de nos pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. C’est que la foi en Dieu n’est pas l’affaire d’un instant ou la conséquence d’un sentiment, d’une émotion passagère, mais elle est immersion dans une histoire qui a reçu beaucoup de visites de la part de Dieu. Et cela continue aujourd’hui avec Jésus. Ce Jésus qui ne demande que de nous visiter depuis notre baptême; dans chacune de nos eucharisties; dans la prière; dans la rencontre du pauvre, du réfugié, de toute personne blessée par la vie. L’originalité de la Conversion Chrétienne par rapport à toutes les formes de conversion réside dans le fait que Dieu a été le premier à se convertir à nous en Jésus. C’est à nous qu’il revient maintenant de lui faire place pour qu’il puisse entrer dans nos vies. C’est ce qui faisait dire à St Paul le mercredi des cendres, : « Laisser vous réconcilier avec Dieu » en d’autres termes : « Permettons à Dieu d’être Dieu en nous »
Enfin, Dieu révèle son nom à Moïse qui le lui demande : «Je Suis qui Je Suis » ou autre traduction : « je serai qui je serai ». C’est Dieu qui dit à chacun de nous « Entre en relation avec moi et tu sauras qui Je Suis ». C’est à ce Dieu aux trois identités que dès le début de sa vie publique, Jésus nous demande de nous convertir. « Convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle d’un Dieu qui ne veut que votre bonheur et qui vous sauve. »
En fait, la conversion, en sa profondeur, consiste en un transfert de confiance : nous avons , non pas à effacer, mais à nous détacher d’une trop grande confiance reposant sur nos capacités, nos acquis, notre confort matériel, et peut être même à nous détacher d’une confiance reposant sur une trompeuse bonne conscience car comme le dit St Paul : « Celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber » Nous avons donc à nous détacher de cela pour reporter toute notre confiance en Dieu qui est « tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ! » Certes Dieu n’apprécie pas le péché, mais il aime d’un amour fou le pécheur et il met tout en œuvre pour le sauver. Jusqu’à, s’il ne porte pas encore de fruits, lui accorder du temps pour le bêcher et répandre avec abondance son amour miséricordieux.
Voilà une parabole de Jésus pleine d’espérance qui nous réconforte parce qu’elle appelle à la confiance : tout n’est pas « foutu » ! Et la conversion devient alors une urgence joyeuse.
Gérard Barthe, diacre