C’était il y a plusieurs années de cela. Je devais être opéré pour la troisième fois d’un cancer et le chirurgien m’avait annoncé que l’opération était risquée. Alors que j’étais jusqu’alors dans le déni, pour la première fois, je devais apprivoiser la mort comme une compagne de route.
Parti quelques jours pour digérer cette annonce, alors que je marchai dans la campagne, j’ai été envahi d’une joie indicible, paisible, et je me mis à chanter le Cantique de Siméon. Il m’était donné comme une boussole sur mon chemin :
« Maintenant, ô Maître souverain,
tu peux laisser ton serviteur s’en aller
en paix, selon ta parole.
Car mes yeux ont vu le salut
que tu préparais à la face des peuples :
lumière qui se révèle aux nations
et donne gloire à ton peuple Israël. »
Le Seigneur me donnait la grâce d’accueillir en moi une vie plus forte que la mort, la certitude d’un amour que rien ne pourrait me ravir. Consentir à la mort m’a libéré de l’angoisse. Je n’avais jamais éprouvé une telle liberté intérieure, une telle joie de vivre aussi.
On ne vit pleinement que si on a consenti à sa mort. Voilà qui peut paraître étrange. Et pourtant. En acceptant que la mort ne nous appartient pas, en laissant Dieu être Dieu, nous sommes libérés de la peur qui, soit nous paralyse, soit nous pousse dans le déni et la frénésie d’un semblant de vie.
C’est de cette libération dont parle l’épître aux Hébreux :
« Par sa mort, Jésus a pu réduire à l’impuissance
celui qui possédait le pouvoir de la mort,
c’est-à-dire le diable,
et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort,
passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves. »
Religieux, religieuses, consacrées, nous sommes de ces hommes et de ces femmes appelés à la liberté en Christ.
Peut-être vous souvenez-vous de cet épisode du film « Des hommes et des dieux » qui relate les dernières semaines des moines de Tibhirine avant leur enlèvement et leur martyre ? Le frère Christian de Chergé réunit tous ses moines et demande à chacun de se positionner : souhaites-tu partir pour sauver ta peau ou bien rester en solidarité avec le peuple algérien ? Un des moines dit alors : « Mais notre vie est déjà donnée ! » Notre vie est déjà donnée. J’ai reçu cette remarque comme une interpellation forte : ma vie est-elle réellement donnée, concrètement ? Je suis si prompt à reprendre d’une main ce que j’ai donné de l’autre.
La fête de la Présentation de Jésus au Temple est très belle. Elle célèbre un don. Le don premier de Dieu à l’origine de toute vie. Qui n’a pas ressenti cet émerveillement d’une vie offerte, accueillie devant un nouveau-né ? Tout nous est donné, et dans un même élan nous nous tournons vers Dieu, source de tous biens, pour lui rendre toutes grâces reçues. C’est le sens profond de la démarche de Joseph et Marie : célébrer le don qui leur est fait et refuser de se l’approprier.
La vie de Jésus est tout entière expression de ce Dieu donné par amour, de la crèche à la croix. A sa suite, toute existence peut devenir un oui amoureux à la vie que le Christ nous donne en abondance.
Demandons la grâce de renouveler notre oui, d’être de ceux qui donnent leur vie sans compter, sans avoir peur de la mort, parce que notre vie est déjà donnée en Christ, réponse à l’amour premier du Père.
Frère Nicolas Morin
