Jérémie
Laissez-moi vous parler de mon prophète préféré Jérémie. Ce prophète à l’emporte pièce dont les propos sont cinglants mais dont le cœur saigne. Jérémie n’est ni roi, ni politicien, ni pontife, ni prophète à gages, c’est un homme nu, faible et fort, âpre et véhément, sensible et fermé, martyr et protestataire. De tous les saints de l’ancienne Loi, il est le plus chrétien, le plus vulnérable, le plus fraternel, le croyant dont la foi survit à la débâcle de l’espérance.
Quelques phrases nous aideront à comprendre pourquoi on l’a jeté dans une citerne : « Une panthère peut-elle changer de pelage ? Un Ethiopien de peau ? Vous ne pouvez changer de conduite gens vicieux et mauvais. » (XIII 23) Jérémie tenait l’opinion en haleine, non point en écrivant des poèmes mais en multipliant les interventions, les bulletins de défaites, les descriptions d’envahisseurs barbares, les cris d’horreur et de lamentation. Et le tout enlevé, pathétique ! Car il fallait frapper fort l’imagination populaire, la secouer, la faire revenir à Yahvé.
« Sonnez du corps dans le pays ! Criez à pleine voix ! Hissez un étendard à Sion ! Sauve qui peut ! Pas de badauds ! C’est un fléau que je vais déferlé du Nord. Le grand cataclysme…Revêtez le sac, pleurez, hurlez car l’ardente fureur de Yahvé ne s’est pas détournée de nous ! » (IV 5-8) Nos sermons lénifiants et moralisateurs ne sont rien en face de ces paroles de feu. Mais Jérémie nous prépare à entendre la Parole par excellence, entendue aujourd’hui : « Je suis venu apporter un feu sur la terre et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé. » (Luc XII 49)
Mais le peuple en a assez de ce prophète de malheur qui décrit les tourbillons d’horreur, le hourras des barbares et les gens qui s’enfuient sous le ciel noir perdant leur sang et leurs boyaux ! C’est le « Dies irae » avant la lettre et Dante n’a rien inventé ! On arrête donc le prophète on le jette d’abord dans un cul de basse- fosse voûté de la maison de Jonathan, puis dans une citerne pleine de boue, comme son prédécesseur le jeune Joseph. « Car cet homme démoralise tout ce qui reste de combattants dans la ville. » C’est une façon de supprimer le prophète sans effusion de sang, et de faire taire la voix qui dérange. Heureusement qu’un serviteur du roi interviendra en sa faveur.
Jérémie est le premier, probablement le seul, des prophètes récalcitrants. Car son âme était le champ de bataille où s’affrontaient trois personnages qu’il n’a jamais réussi à mettre d’accord, trois antagonistes du drame : Yahvé, Juda et Jérémie. Yahvé se servait de Jérémie pour avertir Juda. Juda reniait Yahvé et bafouait Jérémie. Et Jérémie intercédait en faveur de Juda auprès de Yahvé. Le prophète était pris entre deux feux et se sentait victime d’une situation inextricable.
D’autant plus que Jérémie est un être fin, sensible et tendre. Et Dieu l’a doté d’une tragique lucidité sur l’avenir de son peuple, et l’oblige à parler à contre courant. Jérémie est pris entre le marteau et l’enclume. Il doit crier « violence et pillage » lui l’être tendre qui voudrait parler de tendresse et de paix. Le prophète alors a envie de s’enfuir, de ne plus penser à Yahvé, de ne plus parler en son Nom . Mais dira-t-il, « C’était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m’épuisais à le contenir, c’était insupportable. » C’est le feu de l’amour, le feu du Buisson ardent, qui ne se consume pas, mais qui consume le prophète.
C’est aussi le feu qui était dans le cœur de Jésus, sans cesse ranimée par la relation à son Père. Comme il voudrait que ce feu soit allumé dans tous les cœurs, que tous les hommes brûlent du même amour, de la même foi, du même désir, de la même séduction. Et la question fondamentale qu’on peut se poser, à partir de ces textes : « Quel est mon feu ? Pourquoi je me consume ? »
O Jérémie, donne-moi un peu de ta séduction, alors je pourrai dire avec toi :
« Tu m’as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire .
Tu m’as maîtrisé. Tu as été le plus fort. » (Jérémie XX 7)
Frère Max de Wasseige