Sœurs et frères, l’évangile de ce jour m’inspire une réflexion en deux points.
- Tout d’abord, cet évangile nous interpelle par le geste surprenant de dix lépreux qui, comme vous le savez, sont exclus de la société de l’époque, condamnés à vivre loin des autres et à souffrir en silence.
Dans leur détresse, mais pleins d’espoir, de loin, ils osent crier : « Maître, prends pitié de nous ! ». Jésus les voit, les écoute, leur parle à distance, et la guérison survient, non pas instantanément mais sur le chemin, dans une démarche de réconciliation avec la Synagogue, dans l’obéissance à la loi rabbinique relative à la purification des lépreux telle qu’elle est décrite dans le livre du Lévitique au (chapitre 14).
Ainsi l’espoir, puis la prière puis l’acceptation de la Loi religieuse leur apportent la guérison.
Mais l’histoire continue : Un seul sur les dix fait alors un retour décisif : voyant qu’il est guéri, il se prosterne devant Jésus pour le remercier mais surtout pour rendre gloire à Dieu.
En quoi ce passage est-il important pour nous aujourd’hui ? c’est très simple :
Quand on prie, même si on ne sait pas prier, on peut être guéri mais quand est poli et qu’on remercie, on est sauvé ! Ce n’est pas pareil. Remonter à la source de la guérison est plus rentable que de ne s’intéresser qu’aux effets. C’est la reconnaissance qui renouvelle notre relation à Dieu et c’est l’action de grâce qui nous libère.
Les neuf autres ont été guéris, mais leur manque de gratitude les prive d’une rencontre plus profonde avec Dieu. Le samaritain lui, en revenant, découvre la source de son salut et sa guérison physique devient ouverture à la vie divine.
C’est cela mon premier point. Remonter à la source est plus profitable que de se satisfaire des seuls effets du miracle.
Mais permettez-moi d’aller plus loin, ce sera mon deuxième point :
- Dans plusieurs sources de l’Antiquité juive, en particulier dans la littérature rabbinique, les Samaritains sont encore plus méprisables que les païens et provoquent une hostilité virulente. Dans ce monde juif de l’époque, de grands textes circulent, par exemple l’historien juif Flavius Josèphe les traite d’opportunistes et de faux frères. Un Midrash les traite d’hérétiques et le Talmud lui-même (ce livre qui renferme le trésor de la pensée, de l’histoire et des coutumes juives) dit que : « les samaritains, sont plus dangereux pour Israël que les païens » !
Les païens (principalement grecs et romains) sont impurs évidemment, mais ils ne sont pas des traîtres. Un païen peut se convertir et être purifié, tandis qu’un Samaritain, depuis l’invasion assyrienne huit siècles avant Jésus-Christ, est perçu comme un collaborateur, un renégat, quelqu’un qui connaissait la Loi mais qui l’a falsifiée, voir rejetée. Il n’a aucune morale ! il est donc automatiquement exclu de la synagogue puisque sa religion est un syncrétisme impur, mélangeant le culte du Seigneur et celui des dieux païens.
Pourquoi vous parler d’une histoire aussi ancienne ? tout simplement parce qu’elle nous concerne aujourd’hui encore, bousculant parfois notre conception de la religion.
Dans l’histoire des religions antiques, à travers cette guérison (avec deux autres textes, celui du fils prodigue puis celui du bon larron) Jésus ouvre pour la première fois, un nouvel espace dont nous profitons aujourd’hui encore :
- le salut dépasse les frontières ethniques
- mais plus encore il dépasse la morale
- et plus encore, il dépasse la loi religieuse !
Mais hélas, cette guérison va être reçue comme un blasphème par beaucoup de ses contemporains qui ne vont pas lui pardonner. Voilà pourquoi Luc place cette histoire lors de la montée de Jésus à Jérusalem où, dans quelques jours il sera mis à mort.
Il ne s’agit pas de se moquer de la morale et de la loi, toutes deux nécessaires pour structurer une vie de qualité mais simplement de reconnaitre que ce ne sont pas elles seules qui sauvent. Elles nous façonnent, nous orientent mais ne sauvent pas automatiquement
Aujourd’hui comme hier, quand nous le prions, même si nous ne savons pas prier, Jésus ne s’arrête pas à nos ignorances et nos côtés obscurs. Dans toute personne qui le prie, il voit une personne qui dit ses difficultés et un cœur qui espère. Quand le Samaritain revient sur ses pas pour rendre grâce, le Christ reconnaît en lui la vraie foi celle qui naît de la gratitude et non de l’appartenance religieuse. Ainsi, au cœur même du rejet jaillit une bénédiction : là où les hommes tracent des frontières Dieu fait naître des fils et des espaces de liberté. Le Salut n’est pas le résultat automatique d’une vie méritante, il se reçoit gratuitement.
Cette tension entre le mérite et la grâce existe toujours. Par exemple dans nos familles on expérimente les deux : on a besoin que des actes sensés, raisonnables, constructifs, instructifs, aimables, soient posés et ces actes plus tard plaideront pour nous lors de notre rencontre avec le Seigneur, mais on aussi besoin d’actes d’amour, gratuits et libres, qui eux aussi embellissent la vie.
Conclusion :
- Il faut prier même quand on ne sait pas faire, et Dieu peut tout à fait nous réconforter.
- Mais il ne faut pas accaparer les bienfaits de Dieu en oubliant de lui dire merci,
- et s’il faut vivre dans la meilleure morale qui soit, Dieu se donne aussi à la personne qui sait demander sa miséricorde.
Alors, aujourd’hui, laissons résonner pour nous cet évangile qui nous appelle à marcher dans la confiance et à vivre dans la reconnaissance. Confiance et reconnaissance sont le résumé de notre foi.
Amen.
Frère François Comparat